Service écosystémique des sols, pourquoi les préserver ?
By C. Logeais, A. Jordens, H. Saadaoui, J. Haemers
Depuis des dizaines de milliers d’années, l’Homme exploite les sols pour assouvir ses besoins. Au fur et à mesure du temps, la présence de l’Homme sur Terre s’est amplifiée et ce de manière exponentielle. Par conséquent, la pression exercée sur les sols s’est accentuée, se manifestant de manière toujours plus violente. Les sols, interfaces et liens entre la biosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère (Ruellan, 2010), ont un rôle majeur au niveau du fonctionnement de notre planète. En les modifiant, les sociétés humaines infligent des transformations importantes et souvent négatives sur les couches écologiques qui composent notre planète.
L’impact de l’Homme sur la planète et sur les sols est d’autant plus significatif depuis le XXe siècle. Durant cette période, synonyme de progrès industriels et scientifiques, la priorité a été donnée à une production toujours plus importante et rapide au détriment de l’environnement : production agricole intensive, occupation urbaine, industrielle et routière non contrôlée. En quelques années, des centaines de milliers d’hectares de sols ont été détruits et épuisés (Ruellan, 2010) sans penser aux conséquences futures.
Si, depuis la fin du XXe siècle, il y eu une prise de conscience sur la nécessité de préserver l’environnement et les ressources naturelles, la protection des sols a longtemps été mise au second plan. Pour rendre compte de leur utilité, le concept de service écosystémique a émergé.
L’objectif de cet article est de clarifier et de comprendre le concept de services écosystémiques des sols et de montrer la nécessité de les préserver.
Service écosystémique : définition et origine
La notion de service écosystémique vise à mieux faire reconnaitre la contribution des écosystèmes au bien-être et à l’activité économique des hommes, en remettant en cause la vision de ceux-ci comme de simples ressources à exploiter. Cette idée de « services » rendus à l’humanité par les écosystèmes est apparue à la fin des années 70 avec des auteurs tels que Westman (1977) et Mooney (1983) (Barnaud, Antona, & Marzin, 2011). La définition la plus largement répandue d’un service écosystémique est la suivante : « benefits supplied to human societies by natural ecosystems » (Daily, 1997). Si ce concept existe depuis une quarantaine d’années, il a été popularisé seulement au début des années 2000 grâce à l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment-MEA). Le but de cette organisation est de mieux faire reconnaître la contribution des écosystèmes au bien-être et à l’activité économique des hommes. À l’issue de quatre années d’évaluation, quatre grands services rendus par les écosystèmes ont émergé (Barnaud, Antona, & Marzin, 2011) :
- Services d’approvisionnement (produits agricoles, bois, eau potable, poissons, etc.),
- Services de régulation (climat, inondations, purification de l’eau, etc.),
- Services culturels (aspects esthétiques, religieux, récréatifs…)
- Service de soutien (base au fonctionnement des trois premiers)
Les services systémiques fournis par les sols
Pendant longtemps, une approche monofonctionnelle du sol dans les démarches d’ingénierie et d’aménagement prévalait : les agronomes et forestiers s’intéressaient principalement à la fonction de production des sols et aux moyens de l’intensifier. En ce qui concerne l’aménagement urbain, les sols ont été réduits à leur rôle de soutien de l’habitat et des infrastructures, pour les producteurs d’eau potable à leur effet de régulation des flux et des polluants vers les ressources d’eau (Walter et al., 2015). La notion de services écosystémiques des sols permet de mettre en relief la multifonctionnalité des sols et oblige à voir cette ressource dans sa globalité.
Services d’approvisionnement
Au niveau des sols, les services d’approvisionnement regroupent l’ensemble des productions issues des sols mais également la fonction de support physique : c’est une base sur laquelle l’ensemble des êtres vivants et des infrastructures se trouvent. Ainsi, la quasi-totalité des besoins de la population humaines sont couverts par des produits fournis directement ou indirectement par les sols : alimentation, énergie, fibres naturelles, carburant, électricité, infrastructures. Cette prédominance va indéniablement se maintenir pour subvenir aux besoins naturels mais aussi pour réaliser la transition énergétique des prochaines années.
Services de régulation
En tant qu’interface des autres grands compartiments de la Terre, le sol a un rôle majeur dans les grands cycles qui existent sur terre. Au niveau du cycle de l’eau, le sol joue plusieurs rôles essentiels : partage de l’eau entre infiltration et ruissellement, régulateur des transferts entre eau atmosphérique, eau souterraine et eau de surface, et enfin stockage de l’eau (Dörfliger & Odoux, 2014).
Les sols sont également un réservoir et un milieu de vie pour les nombreux organismes vivants présents dans le sol, notamment des microorganismes, des nématodes, des lombriciens et des arthropodes. Ces organismes ont de très grandes interactions entre eux, avec leur milieu mais aussi avec les plantes (ils participent à leur protection, développement et reproduction). Ils contribuent aussi à la structure, à la porosité et à la cohésion des sols. De manière générale, le sol est un compartiment essentiel pour la réalisation des cycles biochimiques (Carbone, azote, oxygène, nutriments, etc.) (Blanchart, et al., 2017).
Les sols permettent enfin de recycler un grand nombre de déchets dus aux activités anthropiques, de réguler les aléas naturels (tempêtes, inondations, séismes) (Walter et al., 2015).
Services culturels (aspects esthétiques, religieux, récréatifs…)
Les services culturels sont des bénéfices immatériels que l’humanité peut tirer des écosystèmes à travers un enrichissement spirituel ou un développement cognitif des peuples (esthétique, patrimonial, spirituel…).
Services de support
Les services de support regroupent l’ensemble des fonctions nécessaires pour la production des autres services : c’est-à-dire le cycle de l’eau, le cycle des nutriments, la production primaire et la formation des sols. Ils mettent en jeu l’aptitude des sols à assurer les services attendus par l’humanité.
La production des sols implique des transformations des propriétés physiques, chimiques et biologiques du matériel initial et permet, progressivement, l’extension latérale et verticale des sols. Les ordres de grandeur de cette formation sont faibles : de l’ordre de 0,04 à 0,08 millimètre par an (moins d’un centimètre par siècle) (Walter et al., 2015). C’est pour cela qu’on considère les sols comme une ressource non ou peu renouvelable, d’autant plus que les pertes en sol sont beaucoup plus intenses et rapides.
Un autre aspect important des services d’autoentretien qualifie la résistance et la résilience du sol à maintenir ou à recouvrir son fonctionnement malgré les pressions s’exerçant sur lui (contamination par des polluants, compaction de la structure, érosion, salinisation, modifications de régime hydrique suite au changement climatique, etc). Celles-ci peuvent perturber le sol, mais les interactions entre processus biologiques et physico-chimiques modulent la réponse du sol à ces pressions. Les organismes des sols ont ici une importance fondamentale.
L’impact de l’homme sur les sols
L’agriculture est la première utilisatrice des sols. Aujourd’hui, 12 % des terres émergées dans le monde sont cultivées. (Hallé, 2016) Pendant longtemps, les hommes se sont adaptés au sol et aux climats pour cultiver ce dont ils avaient besoin en respectant les cycles naturels des végétaux. Le développement d’une agriculture intensive a contribué à la pollution des sols notamment à cause de l’usage intensif d’engrais et de produits pour lutter contre les parasites. Ceux-ci contiennent des éléments qui peuvent rester dans le sol ou être entraînés par la pluie vers les nappes phréatiques et les rivières. L’agriculture peut aussi agresser le sol en provoquant son tassement par le passage d’engins de plus en plus lourds. Le sol compacté ne laisse passer ni l’eau, ni l’air et la faune des recycleurs du sol (lombriciens) diminue. Le sol laissé nu une bonne partie de l’année voit une part non négligeable de ses éléments fertiles emportés par l’eau (érosion hydrique) ou le vent (érosion éolienne). En cas de tempêtes ou de fortes pluies, ce sont plusieurs dizaines de tonnes de sol par hectare et par an qui peuvent disparaître et être entraînées vers les cours d’eau qu’ils rendent boueux. La baisse de la qualité des sols peut donc induire une baisse des rendements des récoltes et de leur qualité nutritive.
Les autres causes de pollutions ou de dégradations des sols dues aux activités humaines sont (Hallé, 2016) :
- La mise en décharge de déchets et leur épandage ;
- Le rejet de polluants organiques et de métaux par les sites industriels, anciens ou actuels, ou par les véhicules ;
- L’érosion accélérée due à la perte de couverture végétale (déforestation) qui entraîne une dégradation et une transformation du relief ;
- L’imperméabilisation, due à la construction de routes, d’entrepôts, d’habitations qui couvrent le sol et le rendent stérile.
La nécessité de préserver cette ressource
Le sol est considéré comme une ressource à protéger au même rang que l’eau et l’air seulement depuis 2002 (Walter et al., 2015). En effet, les hommes ne considèrent pas cette ressource comme directement nécessaire à la vie. Cependant, il est urgent d’agir et de préserver cette ressource non renouvelable.
En effet, la dégradation des sols a des conséquences directes sur :
- La disponibilité en eau : assèchement des nappes phréatiques, évaporation excessive, imperméabilisation des terres ;
- Le développement des végétaux et des lombriciens et donc indirectement des êtres vivants en général : infertilité des terres, pertes des nutriments, pollution, érosion ;
- Les cycles essentiels au développement de la vie : dérégulation du cycle des nutriments, du cycle du carbone, du cycle de l’eau.
Il est donc urgent de préserver cette ressource, du moins limiter sa dégradation, d’autant plus que celle-ci est non renouvelable. Pour cela, il est nécessaire de se tourner vers une agriculture plus respectueuse des sols, de limiter la pollution de ceux-ci mais aussi de dépolluer les sols déjà contaminés.